Déesses Mères, réflexions post-café

Sur ce site,  tout nouveau et tout frais tout interactif nous pourrons enfin nous livrer à des discussions « post breakfast »,
J’ai souvent l’impression, lors de petits déjeuner, qu’un  thème est interrogé, nous avons le temps, en deux heures, de faire tourner le diamant dans nos doigts pour en explorer quelques facettes… Nous sommes heureux, et aussi frustrés, de tout ce que  les perspectives entrevues ne nous ont pas encore dit.
Je propose donc de livrer ici les décantations qui nous viennent a posteriori, et  qui peuvent éclairer ou éclaircir un peu plus le thème.
J’ouvre le bal avec le dernier petit déjeuner de la saison 2016 -2017 qui avait pour thème :
« Les déesses mères ».
C’est une question qui m’intéresse beaucoup, à plusieurs niveaux.
Tout d’abord, parce que nous sommes aujourd’hui encore dans une société clairement patriarcale, issue des deux berceaux grecs et hébreux. Nous aurions du mal à nous imaginer « Dieu le père » sans barbe blanche et avec de grosses mamelles.
Les déesses mères remontent donc loin, dans nos mémoires, et c’est justement ce « délicieux titillement de mémoire » que ce petit déjeuner a produit en moi.
En effet, les cultes premiers étaient des cultes de déesses mères. On peut imaginer la fascination de nos ancêtres  pour la fécondité de la femme.  Si nous interrogeons notre sensibilité, le miracle de la vie est tout aussi fabuleux aujourd’hui. Mais nous sommes un peu « habitués » et nous  nous émerveillons moins. Nous « savons ».
Si nous suivons donc la Mère, pour nous mener aux « Déesses Mères », nous voyons qu’elle est ambivalente. Elle donne la Vie, et la Mort, en introduisant un être de chair dans la mâchoire du temps. C’est ainsi que les figures de Mères comme Kali en Inde sont terrifiantes, et que la mort est souvent représentée féminine.
Les mères portent l’ambivalence, la vie et la mort. Le culte n’exigeait pas de les différencier, il les plaçait côte à côte. Il y avait ensemble, naturellement,  l’épanouissement de la fleur et son pourrissement. Il semble difficile aujourd’hui d’accepter ces deux notions ensemble, de les englober. Nous sommes habitués à les opposer.
Pour Jung, disait l’une des habituées du petit déjeuner,  la mère est un être tout puissant pour l’enfant. Elle est dédoublée en bonne et mauvaise mère, qui protège ou qui punit.
Devant la mère, nous sommes enfants. Elle nous protège d’abord, nous réchauffe et nous nourrit. Puis, elle peut nous retenir, nous étouffer, nous nier en nous obligeant de rester dans son sein. On peut imaginer aussi les premiers peuples « prisonniers » de cette Mère possessive et exigeante.
La Mère tire de son corps la nourriture, la chaleur. Le parallèle entre la fécondité de la mère et la fertilité de la Terre est clair. De même, la fertilité est un phénomène cyclique. Tout ce qui pousse va connaître un hiver et disparaître. La Terre, la matière, le bourgeonnement de la nature, tout cela se produit au sein de la mère.
Ces cultes de Déesse Mère induisaient donc un temps cyclique, allant de la naissance à la mort. Chacun savait que ce qui apparaissait disparaissait.
Cette perspective englobante oblige à reculer devant cette roue inexorable, à se placer en arrière de son mouvement, et ne plus s’attacher aux phénomènes qui vont et qui viennent. La contradiction se vivait comme telle. L’effroi devant la contradiction fondamentale, celle qui nous laisse « sans réponse et sans voix » En ce sens, ce culte de Déesse Mère remettait le « Mystère » au centre de la Vie.
C’est magique de retrouver, dans nos contes traditionnels, ces figures anciennes qui nous rappelle « ce grand Mystère ». Baba Yaga, aux mamelles pendues à des crochets,  à la jambe d’os, répond à certaines questions de Vassilissa et pas à d’autres. Si d’aventure l’héroïne les avait posées, Baba Yaga aurait repris sa figure terrifiante, abandonnant celle de la protectrice.
En induisant l’ambivalence, sans chercher à en faire la synthèse, mais à l’accepter dans son insupportable tension, les cultes de déesses mères nous remettaient sans doute tous à la même enseigne, nus, pleins de désirs, grignotés par le temps…
Mais nous sentons aussi que, lorsque nous revenons au temps sans « logique », sans « synthèse », sans « hiérarchie »,  ces temps où nous acceptions le cycle, l’ambivalence,  le sexe et l’émerveillement, la sensualité et le mystère, une immense énergie se lève en nous. Une énergie qui a ensuite été bridée, jugée, captée, maîtrisée… et niée.
Une énergie qui rappelle le serpent qui ondule et s’élève, le serpent compagnon des femmes, d’ Eve à Mélusine, en passant par Méduse… le serpent de l’énergie vitale, qui s’est ensuite mué en un animal malfaisant et trompeur.
Ainsi persistent dans les contes ces personnages formidables, parcourant la forêt dans une maison aux pattes de coq, brassant des herbes dans un chaudron d’immortalité. Ces personnages qui condensent la féminité dans sa forme première, magnifique et terrifiante, accueillant l’ambivalence, ces personnages ont été ensuite jugés par la norme patriarcale ambiante, et seuls les caractères négatifs en sont restés.
À nous, conteurs, conteuses, de les revivifier, de leur rendre justice, ramener aux côtés de Dieu le Père une Déesse la Mère.